Travailler dans les conditions de l’aide sociale: cadre juridique, cas d’espèce et lacunes réglementaires

 

Situation initiale

Pour la plupart des gens, l’activité lucrative constitue la source de revenus la plus importante ; elle sert également de puissant moyen d’intégration sociale. En cas d’absence d’activité lucrative sur le long terme, l’aide sociale offre, après les assurances sociales, un revenu minimum comme dernier filet social. A travers la mutation de l’Etat social vers des politiques d’activation, ce revenu minimum est toutefois de plus en plus lié à la condition que le bénéficiaire participe à des programmes d’occupation ou des emplois.

Lacunes dans la recherche

Quelle est la situation juridique dans ces cas ? Alors que les règles et les conditions de travail dans le marché normal du travail (« premier marché du travail ») font l’objet de beaucoup de recherches juridiques, ce n’est pas le cas pour le travail sur le « deuxième marché du travail » (relations « triangulaires » entre l’assurance sociale et/ou l’aide sociale – l’employeur – le travailleur). Le plus grand flou se situe toutefois au niveau des rapports juridiques dans le cadre des programmes d’occupation mis en place dans le cadre de l’aide sociale (« troisième marché du travail »). A quelles conditions juridiques ces prestations de travail dans le cadre de l’aide sociale se déroulent-elles, quelles conséquences ont-elles sur d’autres rapports de droit ? Quelle ampleur ont ces différents arrangements en pratique ? Les réponses à ces questions sont pratiquement inexistantes. En Suisse, la doctrine juridique et la recherche naissante en sociologie du droit ne se préoccupent que très peu du droit de l’aide sociale.

On trouve des points d’ancrages précieux dans quelques études – à l’orientation sociologique et ethnographique – sur les programmes d’occupation, sur les rapports avec la clientèle et sur la collaboration inter-institutionnelle des assurances sociales et de l’aide sociale. Notre projet de recherche s’intéresse en premier lieu au cadre constitutionnel et de droit du travail des programmes d’occupation de l’aide sociale. En second lieu, nous nous intéressons à l’aménagement concret des conditions juridiques de ces programmes et à leur hétérogénéité. En troisième lieu, nous nous pencherons sur leur diffusion dans la pratique et leur possibles fonctions socio-politiques (qualification, intégration, discipline, légitimation) et les mesures juridiques à prendre. Enfin, en dernier lieu, nous examinerons et proposerons d’éventuelles modifications législatives, dans la mesure où elles sont nécessaires.

Plan de recherche

Dans le cadre du projet, nous procéderons à des clarifications de théorie juridique et effectuerons des recherches juridiques et sociologiques (jurisprudence, mobilisation juridique, ampleur concrète) ainsi qu’une contextualisation juridique et socio-politique des résultats. Concrètement, nous examinerons la superstructure constitutionnelle et de droits humains qui encadre les rapports de travail dans les premier et deuxième marchés du travail. Nous analyserons la mise en place des programmes d’occupation de l’aide sociale (troisième marché du travail) dans les cantons et proposerons une typologie de ces programmes, sous l’angle de la théorie du droit, de la politique institutionnelle et des aspects discursifs. La pratique juridique dans les cantons sera répertoriée par un questionnaire et complétée par des études de cas plus approfondies dans différentes communes.

De plus, la jurisprudence sera analysée. Enfin, nous examinerons si et dans quelle mesure il se justifierait de transposer aux programmes d’occupation les réglementations de droit du travail et leurs instruments de contrôle. Le projet se propose de combler une lacune dans la recherche juridique concernant la réglementation des programmes de travail et d’occupation dans les premier, deuxième et troisième marchés du travail. Pour la pratique juridique (en particulier pour les tribunaux), les résultats de l’étude fourniront des outils d’interprétations. Pour les responsables politiques, l’étude fournira des faits objectifs sur les programmes d’occupation de l’aide sociale et mettra en évidence les mesures à prendre dans le contexte fédéral. Le projet constitue donc un apport à la recherche juridique et sociale au sens large.

Durée

Juillet 2016 – avril 2020

Résultat

Les principales conclusions du projet de recherche sont résumées dans ce rapport final (-> PDF).

En bref, nous avons constaté qu’il existe essentiellement quatre types de programmes d’intégration en Suisse (clarification, qualification, placement et participation), mais la structure réelle du cadre juridique est extrêmement diversifiée.

A l’heure actuelle, le rapport juridique – bien que des prestations de travail soient fournies – est principalement structuré par le droit de l’aide sociale. Cela implique en particulier que la participation à un programme est une obligation dont le refus peut entraîner une diminution des prestations, voire la suppression du droit aux prestations. La protection du droit du travail, en tant que protection de la partie la plus faible au rapport juridique, et la protection du droit des assurances sociales, sont donc devenues secondaires.

Cette situation est problématique à plusieurs égards. Elle favorise un effet disciplinaire plutôt qu’une réintégration effective. La forte insistance sur le caractère obligatoire et l’application par des mesures incitatives négatives (sanctions) créent des conditions préalables supplémentaires pour bénéficier des prestations de l’Etat, qui visent pourtant à garantir une vie dans la dignité et la participation sociale, et peut avoir des conséquences particulièrement négatives sur le statut juridique des personnes. La question de savoir dans quels cas les prestations sociales peuvent être refusées pour des motifs justifiés n’a pas été suffisamment développée.

Sur la base de cette analyse, il est conseillé de procéder à des ajustements dans trois domaines et de définir des standards minimaux pour le travail dans les conditions de l’aide sociale. L’objectif est de garantir l’égalité de traitement et la dignité humaine des bénéficiaires de l’aide sociale ainsi que d’apporter la clarté et la sécurité juridique requises à l’application du droit :

  1. La participation à un programme d’emploi ou d’occupation n’est pas une condition préalable au droit à l’aide sociale ou à l’aide d’urgence. Toute réduction des prestations due au refus de participer à des programmes d’occupation adaptés et convenables doit respecter le principe de la proportionnalité.
  2. Le rapport juridique dans ces programmes qui impliquent une prestation de travail doit être réglementé par des contrats de travail et le salaire soumis aux assurances sociales.
  3. L’impact des programmes doit être mesuré par des évaluations probantes. Il s’agit d’une condition préalable pour pouvoir contrôler les offres de ces programmes.

Ces recommandations sont basées sur la pratique existante dans certains cantons ou programmes.

Financement

Financé par le Fonds national suisse de la Recherche scientifique